La bastide Maison Blanche
Les journées d’été où le soleil brûle les pierres et où les cigales cymbalisent frénétiquement sont sans doute celles qui rendent le plus justice à la bastide du parc Maison Blanche. Caché dans un écrin de verdure luxuriante, perché face à un lac ou nagent quelques canards que les enfants nourrissent avec bonheur, le bâtiment principal est éclatant de beauté. Il est la composante centrale et éponyme d’un domaine bien plus vaste. Car le parc dans son ensemble est un havre de paix hors du temps, un endroit presque magique par la quiétude qui s’en dégage, un îlot de nature de six hectares en plein cœur de la ville, où de manière égale, enfants et adultes aiment à se ressourcer. Si le promeneur est charmé par la sérénité du lieu, il ignore bien souvent qu’en regardant cet ensemble si majestueux, il a, face à lui, un véritable morceau d’histoire. Car Maison Blanche, c’est aussi un formidable témoignage architectural et culturel concernant le XIXème siècle à Marseille. Le domaine représente en effet l’archétype de l’habitation secondaire provençale de cette époque, tant dans sa forme que dans son utilisation.
David Cohen de Léon et les nécessités de la bourgeoisie du XIXème siècle
Le domaine tel que nous le connaissons est né de la volonté d’un riche négociant du nom de David Cohen de Léon. Descendant d’une famille du comtat et installé à Marseille depuis 1835, il est à la tête d’une maison de
commerce florissante ayant établi des contacts avec L’Afrique du Nord et L’Italie, maison qui deviendra par ailleurs dans les années 1850 la compagnie marseillaise la plus importante échangeant avec le Maroc.
Notable reconnu de la cité, notamment de part son appartenance au consistoire israélite de Marseille, il est l’un des bienfaiteurs permettant la construction de la grande synagogue. Il est en outre l’un des noms fréquemment cité dans la filiation mystérieuse du général d’armée et académicien Maxime Weygand dont il aurait été le tuteur.
Ce n’est pas par hasard si David Cohen de Léon décide en 1846 d’acquérir cette propriété afin d’y faire édifier sa résidence secondaire. Dès le XVIIème siècle, en effet, il était de tradition au sein de la classe des riches négociants marseillais de faire construire sa propre bastide, comme s’il s’agissait d’une manière de démontrer une certaine forme de puissance face à la noblesse de naissance.
Symbole de réussite sociale des classes aisées, la bastide provençale de l’ancien régime jouissait d’une destination protéiforme. Elle était utilisée le plus souvent à la fois comme lieu de villégiature, mais aussi comme pourvoyeuse de fruits et de légumes frais, tout en représentant très tôt un moyen de fuir l’insalubrité endémique ainsi que les épidémies qui laissèrent leur empreinte dans la mémoire collective de la cité phocéenne.
Au milieu du XIXème siècle, la fonction de lieu de villégiature perdure, et si la structure politique a changé, la bastide demeure toujours pour les négociants un moyen d’afficher leur richesse et leur puissance. C’est donc dans cette optique que ce membre éminent de la haute bourgeoisie d’affaire marseillaise acquiert cette propriété qui ne s’appelle pas encore Maison Blanche. Et pour cause : en lieu et place de l’actuelle bastide, se tient ce que l’on appelle alors une maison des champs, résolument tournée vers l’agriculture, puisqu’au début du XIXème siècle, le domaine regorge de vignes, d’oliviers, ainsi que de diverses essences d’arbres fruitiers.
Sous l’impulsion de David Cohen de Léon, le domaine va subir une mutation majeure puisque sa fonction de production va être purement et simplement gommée au profit de celle de la villégiature.
Par un accord signé le 23 septembre 1853, David Cohen de Léon engage l’architecte ingénieur et paysagiste F.
Duvilliers pour repenser la propriété dans son ensemble. C’est sous l’impulsion de ce spécialiste que d’importants travaux de terrassements sont entrepris afin de raser la précédente maison de maître, de créer un nouveau corps de bâtiment et de lui adjoindre un jardin paysager d’exception. Ainsi, tout en reprenant les codes de la bastide traditionnelle, Duvilliers imagine un ensemble sobre mais d’une élégance qui permettra quatre années plus tard à son commanditaire de tenir son rang au sein de la société Marseillaise.
L’architecture de Maison Blanche
Comme toutes les bastides provençales de cette époque, Maison Blanche est constituée de composants caractéristiques qui s’insèrent dans une tradition très clairement établie dans la région.
Le portail monumental
Le portail monumental, en tant qu’élément visible de la rue, était le premier composant capable de démontrer la puissance et la richesse du propriétaire. A Maison Blanche, le portail fait partie de la catégorie de ceux que l’on retrouve dans les bastides les plus riches, notamment grâce à l’emploi de grilles en fer forgé plutôt que de vantaux en bois. Il s’agit d’un ensemble alliant à la fois puissance et élégance. Puissance tout d’abord, avec les deux piliers massifs à bossages, surmontés de coupes ouvragées en pierre. Elégance ensuite, au travers du magnifique travail visible sur l’ensemble de la surface grillagée qui crée une véritable dentelle de métal.
Ce portail, disposé en demi-rotonde, et laissant un large espace en amont afin de permettre aux voitures de manœuvrer avec plus de facilité, ouvre sur une allée bordée d’arbres menant directement vers le corps de bâtiment principal : la Maison Blanche à proprement parler.
La nouvelle maison de maître
Le bâtiment principal de Maison Blanche reprend très exactement la tradition de l’architecture des bastides provençales. Orienté plein Sud, il s’agit d’un ensemble rectangulaire à cinq travées en façade, édifié avec des matériaux locaux. D’une longueur égale à deux fois sa largeur, la maison de maître possède un rez-de-chaussée qui était probablement dévolu à l’espace de réception et à la cuisine, un étage qui devait accueillir les espaces plus privés des chambres, et enfin un attique surmonté d’une toiture à quatre pentes.
S’il nous est difficile de donner des détails sur les agencements internes, il est tout de même possible de fournir quelques éléments concernant la façade principale qui donne sur l’espace de la terrasse.
Cette façade est rythmée par la présence de pilastres cannelés surmontés de petites plinthes ornées de motifs floraux, puis de chapiteaux corinthiens, ce qui confère au bâtiment une certaine forme de noblesse sans pour autant se montrer trop ostentatoire. De la même manière, les baies et fenêtres sont entourée d’un fin moulurage. Les fenêtres sont parfois surmontées de petites niches accueillant des têtes de personnages en légère ronde bosse. L’ensemble est complété à l’étage par un petit balcon protégé par une grille ouvragée et qui surplombe la porte se trouvant dans la travée centrale.
La façade nord reprend à peu près le même découpage et l’on peut imaginer qu’il existait au sein du bâtiment un mode d’utilisation des espaces que l’on pourrait qualifier de saisonnier. Car en effet, il était traditionnel, dans le système bastidaire de s’installer au Nord en été pour profiter de la fraicheur, et au Sud en hiver pour profiter de l’ensoleillement.
Les grandes baies telles que l’on peut voir à l’heure actuelle sur la façade principale ont été ouvertes après le rachat de la propriété en 1906 par Emile Ferdinand Angst, un négociant qui fut à la fois vice Président du conseil d’administration de la Compagnie Nationale de Navigation, ancien vice – consul du Brésil et enfin consul de la fédération Helvétique. Les travaux de percement des baies ont vraisemblablement été réalisés aux alentours des années 1920.
Cette maison de maître est complétée par des dépendances qui se trouvent en retrait et qui sont appuyées
contre le haut mur d’enceinte.
L’aménagement de la terrasse
La terrasse est un élément fondamental de la construction des bastides provençales. Bien souvent, elle double la surface de l’habitation principale, et, étant en élévation par rapport au reste du domaine, elle permet d’adopter un point de vue sur l’ensemble qui, là encore, renforce la volonté du propriétaire de pouvoir admirer sa propre puissance économique.
Et en effet, l’aménagement de la terrasse de Maison Blanche expose assurément la richesse du commanditaire des travaux: pour accéder à cet espace, deux volées d’escaliers sont construites dans la perspective de la porte de la maison de maître. Ces escaliers sont disposés en équerre et débouchent directement face au bassin.
L’élément le plus notable de cet espace reste incontestablement les supports qui soutiennent le palier d’arriveé face à la maison de maître. Il s’agit de deux piliers ornés de petits amours et soutenant une série de trois arcs en plein cintre ornés de motifs végétaux. Deux Sphinges sont disposées sur les piliers principaux du palier d’arrivée afin de compléter la richesse de cette ornementation.
La terrasse en elle-même, orientée Sud comme la maison de maître, est bordée d’une balustrade en pierre composée de balustres à panse légèrement galbée en quart de rond. La balustrade supporte en outre une série de coupes en pierre qui enrichissent la décoration du lieu.
La magnificence du jardin
Le travail de Duvilliers au sein du jardin accolé à la maison de maître a été influencé par deux facteurs : d’une part la volonté de modernité souhaitée par David Cohen de Léon, d’autre part quelques travaux contemporains effectués dans le même domaine et s’inspirant des jardins à l’anglaise. Le parc, aménagé en même temps que la construction entre 1853 et 1857, sera dans le domaine de l’aménagement des jardins, l’une des premières réalisations de cette ampleur dans la région.
Il s’agit incontestablement d’un modèle, de part notamment l’équilibre de la composition que l’on peut toujours constater en se promenant au sein de l’ensemble. Car en effet, si la tentation est grande, dans un jardin à l’anglaise, de multiplier les allées, ici, Duvilliers à eu la sagesse de savoir se limiter a quelques itinéraires bien choisis permettant de conserver une impression d’harmonie et de naturel. Ici, les allées servent également à mettre en valeur d’autres éléments très caractéristiques et contribuent à donner à cette nature un caractère pittoresque et mystérieux. Elles constituent une véritable invitation à l’exploration.
Grâce aux importants travaux de terrassements, Duvilliers imagine deux lacs ainsi qu’une petite rivière, et avec les déblais issus du percement de ces éléments, il fait accentuer les quelques petites élévations présentes sur le terrain. De partout, pelouses et bosquets sont aménagés afin de créer, comme le dit si bien Gilles Mihière dans son ouvrage consacré aux bastides marseillaises ‘une coulée verte qui dilate l’espace’, accentuant encore plus la sensation de richesse émanant du lieu. De la terrasse de la maison de maître il devient alors possible d’admirer l’ensemble du domaine, puisque tout est fait pour guider le regard de manière harmonieuse, afin d’embrasser d’un seul coup d’œil la beauté du lieu.
Le choix de la végétation présente dans le parc là encore est tout particulier. Accolée aux traditionnels figuiers qui poussent dans la région sans même que l’on ait à les regarder ainsi qu’aux platanes centenaires témoignant sans nul doute de la présence d’une nappe phréatique sous le terrain, se trouve une véritable collection d’essences précieuses, parfois rares, et souvent cachées au premier regard.
Le canal de Marseille, achevé en 1849, ayant définitivement résolu le problème de l’eau, les possibilités en termes de choix de la végétation devinrent alors illimitées. Et à Maison Blanche, David Cohen de Léon a initié un processus de collection qui s’est complété au fil du temps, avec des sujets magnifiques, bien souvent exotiques et que l’on peut encore admirer au détour d’une promenade dominicale. Parmi eux, on peut noter la présence d’arbres tels que les séquoias, grand cèdres, palmiers, pins parasols, ifs, magnolias, liquidambars, orme de Sibérie, cyprès chauve, ginkgo biloba, marronniers, hêtres, érables, peupliers, chênes, sophoras, tulipiers, houx ou encore frênes.
Mais il ne fut pas le seul propriétaire à s’intéresser à l’ornementation de l’espace extérieur. Emile Ferdinand Angst fut celui sous l’impulsion duquel le parc fut complété avec notamment l’adjonction de nouvelles
essences telles que des noisetiers, des micocouliers, un paulownia et un bananier, mais aussi la création d’une rocaille, l’adjonction de statues et vraisemblablement le réaménagement du bassin.
L’acquisition de la bastide par la mairie en 1978 a très certainement contribué au sauvetage de Maison Blanche. De nombreux ensembles de notre quartier n’ont pas eu cette chance, à l’image de Bois Fleury, dont il ne reste plus, hélas, que le portail monumental.
L’œuvre de Duvilliers est une survivante qui, malgré les soins qui lui sont prodigués souffre des assauts du temps ainsi que de son changement de destination. Elle n’est cependant pas oubliée, et très prochainement subira des travaux de consolidation et d’agrandissement afin d’assurer sa pérennité.
Sophie Arrighi