Histoire de l’eau à Marseille

La ville dans l’Antiquité et au Moyen- Âge

La cité phocéenne se développe au niveau d’une petite colline abritée des marais, qui correspond actuellement au quartier du Panier.
L’eau est disponible grâce à des puits, des citernes permettant de recueillir les eaux pluviales et des aqueducs traversant les marais apportant l’eau depuis les collines alentours.

Des bassins de rétention d’eau en plein air furent aussi une autre solution. Lors des fouilles entreprises au jardin des vestiges a été retrouvé trace d’un grand bassin carré de 260 m². Sans doute servait-il de réserve d’eau douce destinée à approvisionner les bateaux ancrés dans le port tout proche.

Les traces de cette eau, si présentes, se retrouvent même dans l’étymologie de ses noms. Ainsi, le Lacydon n’est pas, comme on le croit souvent, le nom de la crique mais celui du ruisseau alimentant la “Corne du Port”. Le nom Massilia, quant à lui, viendrait d’une racine prélatine qui signifie source.

massilia

Dès leur installation, les Grecs commencent à aménager les ouvrages hydrauliques nécessaires à la nouvelle cité. L’un des plus remarquables de cette époque est, sans doute, les “Caves de Saint-Sauveur”, situées au-dessus de l’abbaye féminine de Saint-Sauveur.
Il s’agit d’un site connu depuis le Moyen Âge. Simplement, les anciens pensaient qu’il s’agissait de thermes romains, les “Bains de César”, voire de caves moyen âgeuses.
Ce n’est que lors de travaux de voirie effectués place de Lenche, en 1977, que les archéologues découvrirent qu’il correspondait à un ensemble de réservoirs d’eau potable. Au demeurant, la présence de bassins aussi volumineux n’est pas étonnante au coeur d’une ville comme Marseille, qui devait faire face à un siège éventuel et répondre aux besoins en eau d’une population importante.
Dès les origines, des canalisations sont aménagées. Un aqueduc couvert sera repéré sur plus de 100 mètres, courant tant à l’extérieur qu’à l’intérieur des murs. Il amenait, dans la cité, l’eau des sources captée à l’Est et passait dans l’axe de la porte orientale. Un égout couvert est également édifié dès les premiers temps de la ville.

Les siècles obscurs.

La chute de l’Empire romain d’occident s’étale de la fin du IVème siècle jusqu’à la fin du Vème siècle après J.-C., sous les coups répétés des invasions des barbares venus de l’est ( Germains, Goths, Huns, Vandales, Suèves, Burgondes, Francs, Alamans, Lombards…). L’Empire romain d’occident s’écroule politiquement en 476, après la révolte de l’armée romaine d’Italie commandée par un barbare du nom d’Odoacre. Puis, au XIème siècle, les Sarrasins arrivent par le sud.

Au cours de ces périodes troubles, les techniques introduites par les peuples antiques sont oubliées. La corne du port et le bassin d’eau douce s’envasent et se transforment rapidement en dépotoir public. Ils seront définitivement comblés à la fin du Vème siècle. Mal entretenues, les canalisations s’envasent, l’aqueduc et les autres ouvrages sont abandonnés.
En cette période de récession urbaine, les Marseillais utilisent l’eau des puits, des citernes publiques et privées alimentés par les sources, ainsi que par les nappes phréatiques.

Les problèmes de disponibilité d’eau potable deviennent récurrents et provoquent des tensions entre les communautés. Un aqueduc amenant l’eau des collines du massif de l’Étoile par la porte d’Aix est construit, alimentant fontaines et abreuvoirs. Mais les antiques égouts n’existent plus et les eaux usées sont rejetées dans les rues, ainsi que les détritus.

acqueduc

Au début du XIVème siècle, le cours du Jarret (affluent de l’Huveaune) est raccordé à cet aqueduc.

A la fin du XVIIème siècle, la construction de l’arsenal des galères modifie profondément le plan de ville et entraîne le doublement de sa surface. En deux siècles, la population est multipliée par trois pour atteindre 88.000 habitants en 1760 au lieu des 30.000 recensés en 1554. La quantité d’eau indispensable s’accroît dans les mêmes proportions.
Mais les ressources étant limitées, elle commence à manquer sérieusement. Au moment des grandes sécheresses, la pénurie devient même rapidement catastrophique. Au milieu du XVIIème siècle, elle prend de telles proportions que les autorités organisent des prières publiques auxquels tous les habitants sont convoqués !
Le débit du Jarret débit était irrégulier et ses eaux, limoneuses, envasèrent rapidement l’aqueduc, réduisant encore le débit de l’eau. Il faudra alors recourir à l’Huveaune, en opérant une prise entre les villages de la Pomme et de Saint-Marcel.

L’Huveaune, petit fleuve côtier qui traverse Aubagne, puis Marseille et se jette dans la mer au niveau des plages du Prado, permet, alors, de fournir jusqu’à 75 litres d’eau par personne et par jour.

Mais les problèmes liés à la gestion, au contrôle et à l’entretien des réseaux restent difficilement gérables.

Au début du XIXème siècle, les Marseillais sont encore plus nombreux (140 000 habitants en 1830). L’eau est de plus en plus polluée, entraînant des épidémies aggravées durant les périodes de sécheresse.
En 1834, la situation devient catastrophique car seulement 1 litre d’eau reste disponible par personne et par jour.
Dans ce contexte, la sécheresse qui frappe la Provence, en 1834, se révèlera dramatique. Le débit de l’Huveaune se trouve réduit à un peu plus d’un litre par habitant et par jour. On réserve alors l’eau pour les hôpitaux, les casernes et les fontaines publiques. L’administration fait creuser de nouveaux puits et rouvrir tous ceux qui avaient été abandonnés, bons ou mauvais, pour y installer des pompes gardées jour et nuit par des employés.
Mais à la fin du mois de septembre 1834, les pluies tant attendues provoquent la crue de l’Huveaune et du Jarret, suivie, en décembre, par une épidémie de choléra qui fera 865 morts. Une seconde épidémie, en juillet 1835, fera 2.576 morts…
Les élus sont dès lors convaincus de la nécessité d’agir rapidement pour restaurer la salubrité de la ville par un apport d’eau suffisant, une amélioration des réseaux d’alimentation et de rejets. Le maire Maximin Consolat décide, “quoi qu’il advienne, quoi qu’il en coûte”, la construction d’un canal qui amènera une partie des eaux de la Durance jusqu’à Marseille.

Le canal de Marseille.
Sa construction débute en 1838, sous la direction de l’ingénieur Franz-Major de Montricher.

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L’eau devait être captée assez haut sur la Durance ( au niveau du pont de Pertuis et à une altitude de 185 mètres ), pour pouvoir, par effet de gravité, effectuer tout le parcours, en traversant ou contournant les massifs intermédiaires ( chaîne des Côtes, plateau de l’Arbois, massif de l’Étoile…), et parvenir au point le plus haut de Marseille, à Saint-Antoine ( altitude 150 mètres ), pour desservir la totalité de la ville.
Il faudra 15 ans, de 1839 à 1854, pour construire le canal, d’un tracé tourmenté utilisant au mieux les courbes de niveau, long de 80 km (pour une distance à vol d’oiseau de 50 km entre départ et arrivée), avec 18 km de souterrains, 18 ponts dont le pont de Roquefavour au sommet duquel passe le canal de l’aqueduc.

Le pont permet de faire traverser au canal la vallée de l’Arc. Cet ouvrage d’art, long de 393 mètres, permet au canal de passer à 82,5 mètres au-dessus de l’Arc. Il est inspiré du Pont du Gard (longueur : 400 mètres ; hauteur : 49mètres).

Le canal de Marseille est en béton, d’une largeur de 3m pour la cuvette ; son débit moyen est de 10 m3/s pour une pente de 0,36m/km.
L’eau arrive le 19 novembre 1849 à Marseille, au plateau Longchamp, à l’altitude de 150 mètres.

De 1854 à 1869, 77 km de canalisations sont construits, ainsi que d’autres bassins réservoirs, permettant de répartir l’eau sur tout le territoire de Marseille, mais aussi sur les communes avoisinantes comme Plan-de-Cuques, Allauch, La Treille, Éoures, Aubagne…

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En 1876, les 371 000 Marseillais disposent de 370 litres d’eau par personne et par jour pour usage domestique et 660 litres pour usage industriel.
Deux gigantesques bassins de décantation de 4250 m3 et 4900 m3 sont construits sous le jardin Longchamp en 1862, sous la direction de l’architecte Espérandieu, surplombant ainsi tout le centre de la ville de Marseille.
Le jardin Longchamp est donc situé en hauteur, juste derrière le palais Longchamp.

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Aujourd’hui, le canal de Marseille n’assure plus seul l’alimentation en eau de la ville et de ses environs.

En 1957, la Société du Canal de Provence (S.C.P.) est créée, avec pour mission de transférer une partie des eaux du Verdon (un affluent de la Durance), à travers le Var et les Bouches-du-Rhône. Le canal de Provence, construit dans les années 1970, consiste en un réseau de canaux partant du Verdon. Il est en grande partie souterrain, et alimente non seulement Marseille (par le réservoir de Vallon Dol), mais aussi Aix-en-Provence (barrages de Bimont et Zola) et Toulon.

Le canal de Provence fournit actuellement le tiers de la ressource en eau de Marseille et le canal de Marseille, les deux tiers.
Ces deux ressources interconnectées assurent la sécurité en eau de Marseille.
Les eaux sont évidemment traitées suivant les normes actuelles, rendant l’eau propre à la consommation.

La gestion de l’eau

Le canal de Marseille a été géré par la ville de Marseille de la fin de sa construction en 1849, jusqu’en 1941. Depuis 1941, la gestion de l’eau de la ville (donc le canal) est confiée à la S.E.E.M. (Société d’Études des Eaux de Marseille), devenue maintenant le Groupe des eaux de Marseille.

La Région P.A.C.A. hérite du Canal de Provence. Le transfert du réseau de la Société du Canal de Provence au profit du Conseil régional a été officialisé en octobre 2008. 
Avec cette nouvelle attribution, la Région acquiert compétence en matière d’aménagement hydraulique. Elle prend aussi la responsabilité de la gestion de l’approvisionnement en eau de Marseille et de la région.

La sécurité
Dans toute la partie hors Marseille, mis à part évidemment les tronçons souterrains, le canal est à l’air libre et peut être suivi grâce à des chemins sur berges. À l’intérieur de Marseille, pour des raisons de sécurité évidentes, la société du canal de Marseille a entrepris de clôturer ou de couvrir tous les tronçons traversant les espaces publics, au grand regret des amoureux de l’eau courante. En effet, le canal peut représenter un véritable danger, en particulier pour les enfants.
Avec un courant atteignant 0,7 mètre par seconde en moyenne, la vitesse de l’eau peut s’accélérer à tout moment en cas d’ouverture de vannes. De plus, les parois du canal sont pentues et glissantes et empêchent toute remontée.
Aussi, la Société des eaux et la ville ont multiplié et encore en 2007 les campagnes d’avertissement et mis en place des mesures de sécurité : grillages, panneaux, barrières, lignes de vie flottantes et même gardiennage dans les endroits les plus sensibles, à proximité des habitations.

L’entretien
Prise à Sainte-Marthe, l’eau brute est filtrée dans le bassin du Merlan (14e arrondissement), avant de partir dans le réseau de distribution sous pression. Mais le canal de Marseille n’a pas qu’un intérêt sanitaire. Dès sa création, il a modifié le paysage marseillais en permettant aux agriculteurs et aux propriétaires d’arroser les champs et les jardins des bastides. Ce fut le début du maraîchage à Marseille, grâce aux rigoles d’irrigation par gravité qui partaient du canal et descendaient vers la ville.
Pour entretenir sa branche « mère » et ses rigoles, le canal de Marseille a ses propres techniciens, les aygadiers qui ont droit de passage dans les propriétés privées, manœuvrent les martelières et les pompes. Mais la Société des eaux de Marseille, qui a hérité du canal et de ses aygadiers veut se recentrer sur son métier (l’eau potable), elle cherche donc à fermer toutes les rigoles d’irrigation partant du canal. Pour cela, elle ne reconduit pas les droits d’eau aux nouveaux propriétaires et propose une irrigation par de l’eau sous pression. Petit à petit les rigoles sont abandonnées, et la SEM supprime les postes d’aygadiers. Près de quarante il y a encore 20 ans, ils ne sont plus qu’une douzaine pour gérer les 80 km du canal.
Les « chercheurs de fuite » sont une quinzaine et sont chargés « d’écouter » le passage de l’eau sous le sol, aujourd’hui avec des géophones (amplificateurs de sons jusqu’à 4 000 fois) pour détecter les fuites sur les canalisations. Par leur efficacité, le réseau a un rendement de 85 %, ce qui est considéré comme de bon niveau.